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Bail dérogatoire

Mise à jour 06/10/2025 Commerce

Bail dérogatoire (bail précaire) - définition et usages en contexte commercial

Définition professionnelle

Le bail dérogatoire est un contrat de location à usage professionnel qui déroge volontairement aux règles protectrices des baux commerciaux. Il appartient à la catégorie des baux précaires : il permet à un exploitant (locataire) et à un propriétaire (bailleur) d’organiser l’occupation d’un local pour une période limitée, hors du régime juridique standard applicable aux commerces, sous réserve du respect de conditions strictes. L’objectif est d’offrir une solution souple et temporaire lorsque les parties ne souhaitent pas s’engager dans un bail commercial classique de 9 ans.

Conditions légales et caractéristiques essentielles

Pour qu’un contrat soit qualifié de bail dérogatoire, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • La durée totale ne peut pas excéder trois ans ;
  • Les parties manifestent explicitement leur volonté de ne pas se placer sous le régime des baux commerciaux ;
  • Le contrat est conclu et prend effet au moment de l’entrée en jouissance du locataire.

Autres caractéristiques : le bail dérogatoire n’ouvre pas droit au renouvellement au titre des baux commerciaux, et le locataire ne bénéficie pas de l’ indemnité d'éviction ni des garanties de stabilité propres au bail commercial.

Durée et cumul des périodes

La durée maximale de l’ensemble des locations successives sous forme dérogatoire pour un même local et un même locataire est de trois ans. Les parties peuvent conclure plusieurs baux courts à la suite, mais la somme de ces périodes ne doit pas dépasser la limite légale. Il n’existe pas de durée minimale imposée.

Effet de la conversion

Si, à l’issue du bail dérogatoire, le bailleur tolère la poursuite de l’occupation sans manifester expressément son opposition dans le délai prévu par la loi, la situation peut se convertir en bail commercial. La conversion automatique dépend des éléments factuels et de la tolérance du bailleur ; elle implique la reconnaissance des droits du locataire au titre du bail commercial, y compris le droit au renouvellement et à l’indemnité d’éviction, sous réserve des conditions d’ancienneté et d’exploitation.

Rédaction et clauses indispensables

La loi n’impose pas un formulaire unique pour rédiger un bail dérogatoire, mais certaines mentions sont essentielles pour sécuriser la qualification et prévenir les litiges :

  • Durée précise du contrat et date d’entrée en jouissance ;
  • Clause explicite indiquant que les parties se placent hors du régime des baux commerciaux (mention expresse) ;
  • État des lieux d’entrée et de sortie ;
  • Destination des lieux et activités autorisées ;
  • Modalités de paiement du loyer, des charges et du dépôt de garantie ;
  • Mentions relatives à la possibilité ou non de sous-louer ou de céder le bail.

L’ajout de clauses de résiliation anticipée peut exister, mais leur validité doit être compatible avec la nature dérogatoire du contrat et ne pas créer d’ambiguïté quant à la volonté des parties d’écarter le régime des baux commerciaux.

Résiliation, préavis et conséquences pratiques

En principe, un bail dérogatoire ne peut pas être résilié unilatéralement avant son terme par l’une ou l’autre des parties ; il n’y a donc pas de préavis légal. Le locataire reste tenu au paiement des loyers jusqu’à la fin du contrat. Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement de modalités de rupture anticipée, à condition que ces clauses ne contredisent pas l’accord sur la nature dérogatoire du contrat.

Si le locataire reste après l’expiration sans nouvel accord et sans opposition écrite du bailleur dans le délai légal, la situation peut basculer et donner lieu à la reconnaissance d’un bail commercial avec les effets afférents.

Avantages, inconvénients et risques

  • Pour le locataire : avantage de flexibilité, engagement limité, loyers parfois plus attractifs ; inconvénients importants : absence de sécurité d’exploitation à long terme, impossibilité d’obtenir une indemnité d’éviction, difficulté à amortir des investissements lourds.
  • Pour le bailleur : possibilité de conserver une liberté de reconfiguration du parc immobilier, perception garantie des loyers pendant la durée convenue ; inconvénients : difficulté à attirer des locataires souhaitant une stabilité, risque de requalification en bail commercial si la tolérance se prolonge.
  • Risques juridiques : requalification par un juge si les conditions matérielles et la pratique contredisent la clause dérogatoire (par exemple durée excessive, tolérance prolongée, clauses ambiguës).

Cas pratiques et exemples concrets

Exemple 1 - Pop-up store : Une enseigne souhaite tester un marché pendant 6 mois. Le propriétaire propose un bail dérogatoire de 6 mois, avec état des lieux, loyer mensuel et clause explicite d’exclusion du régime commercial. Résultat : formule adaptée, absence d’engagement long.

Exemple 2 - Succession de baux : Un restaurateur signe trois contrats de 12 mois distincts avec le même propriétaire. La durée cumulée atteint 36 mois ; toute prolongation au-delà exposerait à la requalification en bail commercial si l’exploitation se poursuit.

Exemple 3 - Risque de conversion : Un artisan occupe un local sous bail dérogatoire de 24 mois. À l’expiration, il reste sans accord écrit mais le bailleur ne s’oppose pas. Si l’artisan poursuit l’exploitation et peut justifier d’une activité continue, un juge pourrait reconnaître l’existence d’un bail commercial, entraînant des droits au renouvellement.

Cas pratique chiffré

Un locataire paie 1 500 euros HT par mois pendant 30 mois sous bail dérogatoire. Coût total = 45 000 euros. S’il investit 15 000 euros en aménagements non amortissables à court terme, il prend le risque de ne pas récupérer cet investissement si le bail prend fin à 30 mois et qu’il n’obtient pas de renouvellement. Ce montage oblige à prévoir une clause d’indemnisation ou à négocier un bail commercial en fin de période si la poursuite de l’activité est souhaitée.

Conseils opérationnels pour les entreprises

  • Documenter l’intention des parties par une clause claire et signée pour réduire le risque de requalification ;
  • Conserver et archiver les états des lieux et les preuves de négociation pour chaque renouvellement ou succession de baux ;
  • Prendre en compte l’horizon d’investissement avant de s’engager : éviter les dépenses lourdes si la pérennité du local n’est pas garantie ;
  • Avant de transformer un bail commercial antérieur en bail dérogatoire, s’assurer de la résiliation régulière du bail commercial et de l’accord formel des parties ;
  • Consulter un professionnel du droit immobilier ou fiscal pour situations complexes, notamment en cas de risque de conversion ou d’impacts fiscaux liés aux loyers et charges.

Conclusion

Le bail dérogatoire est un outil contractuel souple adapté à des occupations temporaires ou à des phases d’essai d’une activité commerciale. Sa pertinence dépend d’un arbitrage entre flexibilité et sécurité juridique. Une rédaction rigoureuse, des mentions explicites et une stratégie d’investissement adaptée sont essentielles pour tirer profit de ce contrat tout en maîtrisant les risques de requalification ou de perte d’investissement.