Droit de suite : définition complète et cadre d’application
Définition générale
Le droit de suite est un droit patrimonial attaché à l'auteur d'une œuvre graphique ou plastique qui lui permet de percevoir une part du prix lors de chaque revente de cette œuvre par un professionnel du marché de l'art. Il vise à assurer que l'auteur bénéficie d'une part de la plus-value réalisée au fil des reventes successives. Ce droit est inaliénable et ne peut être abandonné par l'auteur ; toutefois l'auteur peut confier sa gestion et son encaissement à une société de perception et de répartition des droits.
Principes juridiques essentiels
Le droit de suite relève du droit d'auteur et est prévu par le Code de la propriété intellectuelle. Il profite à l'auteur puis, après sa mort, à ses ayants-droit pendant la durée de protection des droits patrimoniaux. Sa mise en œuvre obéit à des conditions cumulatives liées à l'auteur, à la nature de l'œuvre et aux modalités de la vente.
Conditions liées à l'auteur
- Le bénéfice du droit appartient à l'auteur ou, après décès, à ses ayants-droit pendant la durée restante des droits patrimoniaux.
- La nationalité ou la résidence peut entrer en jeu : en pratique, le droit s'applique aux auteurs ressortissants de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen, ainsi qu'aux auteurs de pays membres reconnus par principe de réciprocité. Des règles particulières existent pour les auteurs non ressortissants ayant résidé ou participé à la vie artistique française pendant une période significative.
- Le droit est transmissible aux héritiers selon les règles du droit d'auteur, mais reste exercé selon son caractère inaliénable ; l'auteur peut toutefois mandater une société d'auteurs pour percevoir les sommes et les redistribuer.
Conditions liées à l'œuvre
- Le droit de suite ne couvre que certaines catégories d'œuvres : œuvres graphiques et plastiques (peintures, dessins, estampes, sculptures, tapisseries, mobilier artistique, céramiques, verrerie, bijoux d'artiste, photographies, créations plastiques sur supports numériques ou audiovisuels, etc.).
- L'œuvre doit être originale. En droit positif, l'originalité se caractérise par l'empreinte de la personnalité de l'auteur et par la production d'une création nouvelle, identifiable comme œuvre unique ou en éditions limitées.
- Pour certaines catégories, la loi retient des limites de tirage précises : par exemple, les éditions de sculptures sont limitées à un nombre déterminé d'exemplaires numérotés, les tirages photographiques signés sont limités, et les œuvres textiles faites à la main doivent respecter un nombre d'exemplaires précis. Ces plafonds déterminent si l'exemplaire est considéré comme œuvre d'art originale au sens du droit de suite.
Conditions liées à la vente
Le droit de suite s'applique uniquement aux reventes réalisées dans le cadre d'une transaction professionnelle du marché de l'art. Les conditions pratiques sont les suivantes :
- La vente doit être effectuée par un professionnel du marché de l'art : maison de ventes, commissaire-priseur, galeriste, marchand d'art, diffuseur professionnel, etc. C'est en général ce professionnel qui est chargé de déclarer la vente et de verser la part due.
- Le seuil minimal de prix déclencheur existe : seules sont soumises au droit de suite les ventes dont le prix atteint ou dépasse un certain montant. Ce seuil vise à éviter l'imposition sur des transactions de faible valeur.
- Certaines reventes sont exonérées par exception : par exemple les reventes qui constituent la première cession effectuée par l'auteur ne sont pas soumises; il existe également des règles particulières lorsque le vendeur a acquis l'œuvre récemment et à un prix spécifique (délais et montants d'exemption).
Taux applicables et mode de calcul
Le droit de suite est calculé en pourcentage du prix de vente. Il fonctionne souvent selon une barème progressif, avec des tranches dégressives qui diminuent au-delà de certains seuils de prix. À titre d'exemple représentatif :
- Jusqu'à 50 000 euros : 4 % du prix de vente.
- De 50 000,01 à 200 000 euros : 3 % sur la tranche concernée.
- De 200 000,01 à 350 000 euros : 1 % sur la tranche concernée.
- De 350 000,01 à 500 000 euros : 0,5 % sur la tranche concernée.
- Au-delà de 500 000 euros : 0,25 % sur la tranche supérieure.
Exemples de calculs pratiques :
- Si une peinture se vend 30 000 euros, le droit de suite est 4 % soit 1 200 euros.
- Si une sculpture se vend 120 000 euros, le calcul peut être 4 % sur 50 000 (2 000 euros) + 3 % sur 70 000 (2 100 euros) = 4 100 euros.
- Pour une œuvre vendue 600 000 euros, on additionne les pourcentages sur chaque tranche : montant total résultant en une somme limitée par le barème progressif.
Gestion, perception et répartition
La perception du droit de suite est fréquemment assurée par des sociétés de gestion collective agréées. En France, les sociétés agréées recueillent les déclarations de ventes, recouvrent les montants auprès des professionnels et reversent les sommes aux auteurs ou à leurs ayants-droit selon les règles statutaires.
Pratique courante : l'auteur mandate une société telle que l'une des sociétés d'auteurs en arts graphiques et plastiques pour assurer la collecte et la distribution. Le professionnel vendeur est tenu de déclarer la vente et de verser le montant ; il engage sa responsabilité en cas de défaut et s'expose à des actions en recouvrement pendant la période de prescription applicable (souvent cinq ans pour la créance).
Cas pratiques et illustrations
- Cas 1 - Vente aux enchères : un tableau d'un artiste vivant est adjugé 80 000 euros. La maison de ventes calcule le droit de suite et le retient avant de reverser le net au vendeur ; l'artiste ou sa société de gestion reçoit la somme correspondante.
- Cas 2 - Revente par un galeriste : un galeriste revend une édition limitée d'une photographie signée 5 000 euros ; si la transaction est réalisée par un professionnel et dépasse le seuil minimum, le droit s'applique sur le prix de vente.
- Cas 3 - Transaction privée entre particuliers : si la revente n'implique pas un professionnel du marché de l'art, le droit de suite ne s'applique généralement pas, sauf circonstances particulières (intervention ultérieure d'un professionnel ou requalification).
Exceptions, limites et points de vigilance
Plusieurs exceptions et précisions doivent être prises en compte :
- Les œuvres non originales ou strictement fonctionnelles ne relèvent pas du mécanisme.
- Les règles de territorialité et de réciprocité peuvent limiter l'application du droit de suite en dehors de l'Union européenne ; les conventions internationales et la législation des pays concernés doivent être examinées.
- La question des œuvres numériques et des éditions limitées nécessite une appréciation factuelle : nombre d'exemplaires, signature, numérotation et mode de fabrication sont déterminants pour qualifier l'œuvre.
- Le professionnel vendeur doit conserver les justificatifs de la vente et de l'origine de l'œuvre ; en cas de litige, la charge de la preuve pèse souvent sur celui qui prétend l'exonération.
Conclusion pratique
Le droit de suite constitue un instrument de redistribution des gains issus de la commercialisation successive d'œuvres d'art, visant à reconnaître une part continue de la valeur créée par l'auteur. Sa mise en œuvre exige une vérification systématique des conditions d'application (auteur, originalité, nature de l'œuvre, statut du vendeur, seuils et taux). Pour sécuriser les opérations, les professionnels du marché et les auteurs recourent majoritairement aux sociétés de gestion collective qui centralisent la déclaration, le recouvrement et la répartition des sommes dues.