Résiliation judiciaire du contrat de travail - définition et fonctionnement
Définition générale
La résiliation judiciaire du contrat de travail est une procédure contentieuse par laquelle le salarié demande au conseil de prud'hommes de prononcer la rupture du contrat en raison de manquements suffisamment graves de l'employeur. Il ne s'agit pas d'une démission ni d'un licenciement unilatéral : la rupture est décidée par le juge à la suite d'une saisine par le salarié et peut produire des effets similaires à ceux d'un licenciement (requalification, indemnités) ou, pour un salarié protégé, à un licenciement nul.
Conditions de recevabilité
Pour être recevable, la demande doit démontrer que l'employeur a commis des manquements contractuels ou légaux rendant impossible la poursuite du contrat. Ces manquements peuvent être de nature variée : non-paiement ou retard répété de salaire, harcèlement moral ou sexuel, comportements humiliants atteignant la dignité, retrait sans motif d'outils indispensables à l'exécution du travail (ex. véhicule professionnel), discrimination, ou violation grave d'obligations de sécurité. Le salarié doit apporter des éléments de preuve concordants (courriers, fiches de paie, témoignages, pièces médicales).
Qui peut saisir et exceptions
La procédure est ouverte principalement aux salariés en contrat à durée indéterminée. Un salarié en contrat à durée déterminée peut saisir le conseil de prud'hommes, mais la résiliation ne sera ordinairement prononcée qu'en cas de faute grave de l'employeur ou de force majeure affectant l'exécution du CDD. L'initiative appartient au salarié ; l'employeur ne peut normalement pas demander la résiliation judiciaire, sauf exceptions conventionnelles ou très particulières (apprenti durant la période d'essai et faute grave dans les premiers jours).
Charge de la preuve
La charge de la preuve pèse sur le salarié qui sollicite la résiliation. Il doit démontrer l'existence et la gravité des manquements et leur impact sur la poursuite normale du contrat. Le conseil de prud'hommes apprécie les faits au regard des obligations réciproques et de la proportionnalité de la rupture demandée.
Procédure : étapes pratiques
- Préparation du dossier : rassembler éléments matériels (courriels, lettres recommandées, bulletins de salaire, attestations, certificats médicaux) et préciser les demandes d'indemnités.
- Saisine du greffe : dépôt d'une requête auprès du greffe du conseil de prud'hommes territorialement compétent (lieu de travail) - formulaire Cerfa recommandé mais non obligatoire pour la recevabilité.
- Phase de conciliation : tentative obligatoire dans certaines juridictions ; si elle échoue, l'affaire est renvoyée à une audience de jugement.
- Audience et jugement : présentation des pièces, auditions, éventuels experts ou témoins ; le conseil tranche et peut prononcer la résiliation ou rejeter la demande.
- Voies de recours : possibilité d'appel selon les cas et délais légaux.
Effets juridiques d'une décision favorable
Lorsque la résiliation judiciaire est prononcée, la rupture produit en principe un effet immédiat et est requalifiée par le juge. Le contrat est le plus souvent considéré comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit à des réparations : indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de congés payés, indemnité compensatrice de préavis si non effectué, et réparation pour licenciement injustifié (dommages-intérêts). Si le salarié est protégé (délégué du personnel, représentant du personnel, salarié siégeant au CSE, etc.), la décision peut être qualifiée de licenciement nul, avec droit à réintégration ou à une indemnité spéciale en cas de refus ou d'impossibilité.
Conséquences pratiques et risques
Si la demande est rejetée, le salarié demeure lié par son contrat et peut être tenu de reprendre le travail. La procédure comporte donc des risques : perte de revenus si le salarié refuse de se maintenir à son poste sans solution, voire sanctions disciplinaires si l'attitude du salarié est fautive. Par ailleurs, si l'employeur licencie le salarié au cours de la procédure, le conseil de prud'hommes devra examiner la régularité et la cause du licenciement, et la résiliation peut produire un effet rétroactif à la date du licenciement.
Différences avec d'autres ruptures
- Prise d'acte : le salarié met fin au contrat en reprochant des fautes à l'employeur ; l'appréciation judiciaire détermine si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement ou d'une démission. La résiliation judiciaire, elle, est prononcée par le juge à la demande du salarié.
- Rupture conventionnelle : accord amiable entre employeur et salarié, négocié et homologué, alors que la résiliation judiciaire est contentieuse et imposée par la décision du juge.
- Démission : acte unilatéral du salarié, sans indemnité sauf cas particuliers ; la résiliation judiciaire vise à obtenir réparation et indemnités.
Exemples concrets
Exemple 1 : un commercial se voit retirer son véhicule sans justification, l'empêchant d'exercer ; après mises en demeure restées sans effet, il saisit les prud'hommes. Le juge peut prononcer la résiliation judiciaire et condamner l'employeur à verser les indemnités correspondantes, en tenant compte de la période d'empêchement.
Exemple 2 : une salariée victime de propos humiliants et d'isolement professionnel produit des courriels et témoignages. Si le conseil retient le harcèlement, la rupture sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et donnera lieu à réparation.
Conseils pratiques
- Constituer rapidement un dossier d'éléments probants et notifier les griefs à l'employeur (lettre recommandée) + conserver toutes les preuves.
- Consulter un avocat en droit du travail ou un représentant syndical pour évaluer la stratégie et chiffrer les demandes.
- Ne pas cesser le travail sans conseil : la plupart des juges tiennent compte du comportement du salarié pendant la procédure.
- Envisager simultanément des solutions amiables (rupture conventionnelle) si possible, pour limiter délais et incertitudes.